Carnet de route: de Milan jusqu'au domaine de Nolet, itinéraire d'une famille Italienne.
Il y a quelques années, j’ai voulu retrouver l’histoire de mes ancêtres. C’est ainsi que j’ai reconstitué le parcours de mon arrière-grand-père, venu en France en 1924. Tout cela a abouti, en 2011, à une extraordinaire réunion de famille.
Un orphelin ami de Mussolini
C’était un enfant de parents inconnus, confié dès sa naissance, le 11 janvier 1884, aux sœurs de la paroisse Brefotrofio de Milan et baptisé Paolo Paolpi, un patronyme inventé pour lui.
Son enfance fut plutôt propice, ses parents adoptifs le poussant s’instruire et a apprendre un métier. Certificat de scolarité en poche en 1899, il débuta comme journalier à Rivolta d’Adda. Payé à la tâche, il allait traire les vaches de ferme en ferme. Il excellait dans la tenue d’une étable et la qualité de son travail était reconnue.
Il fut difficile d’obtenir les documents sur son passage dans l’armée. Après m’être adressé à tous les services du ministère de la défense, c’est un capitaine de frégate qui me fit parvenir le livret militaire que je recherchais tant. Pendant son service militaire, en 1904, Paolo noua une amitié avec Benito Mussolini, partageant la même chambrée avec d’autres camarades. Ils aimaient converser toute la nuit en s’abreuvant de discussions politiques, et de bon vin bien sûr! Ce sont des anecdotes que se souviennent avoir entendu raconter quelques anciens de la famille.
Blessé pendant la grande guerre, soigné à l’hôpital de milan, Paolo fut envoyé dans l’usine de bicyclette FIAT, celle qui produisait la « pliante » créée par Bianchi en 1909 pour équiper les Bersaglieri de l’armée transalpine.
Ses années rouges
Dans l’Italie en ébullition sociale du Bienno rosso (1919-1920), Paolo adhère au parti communiste et il est élu conseiller municipal. Après la marche sur Rome qui porta le fascisme au pouvoir, la police politique le considère comme un des chefs de la ligue rouge de Crémone, très charismatique auprès des ouvriers. En quête de liberté et menacé par les chemises noires, Paolo émigre le 19 décembre comme « travailleur agricole », avec sa femme Domenica Severgnini (épousée en 1908 à Monte-Cremasco) et leur sept enfants. C’est Mussolini lui-même, en souvenir de leur amitié de jeunesse, qui lui aurait trouvé un employeur italien désireux d’investir dans le Sud-ouest de la France.
La famille partit donc pour le domaine de Soulancé, 125 hectares entre Martres-Tolosane et Cazères, racheté quelques mois auparavant par quatre propriétaires associés Resmini et les frères Casati, tous originaires de Lombardie. Recruté pour gérer l’étable, Paolo pensait avoir signé un contrat avantageux, avec la promesse d’un bon salaire et d’un logement. Dans l’idée de ne plus rentrer en Italie, il offrit à sa belle famille la ferme dont il était propriétaire à Madonna delle Assi. Encore aujourd’hui, en remerciement, cette habitation est prêtée gratuitement aux descendants de la famille Paolpi qui passent par là !
En Haute-Garonne, Paolo continuait ses activités antifascistes en prenant part à des réunions entre italiens. Un journal local ayant publié en 1926 la liste du comité exécutif du Syndicat régional des travailleurs de la terre, il fût agressé par des hommes de main de ses patrons.
Durant quelques semaines, « l’affaire Paolpi » a ainsi alimenté, dans la presse de gauche, un feuilleton sur les méfaits des fascistes Italiens établis en Midi toulousain. Le 13 décembre 1926, il prononça un discours antifasciste devant le Congrès des ouvriers italiens de la terre de Carcassonne. Cela entraina son fichage politique et celui de son fils Marius par la police Mussolinienne.
Domaine de Soulancé à Martres-Tolosane des associés Resmini et Casati (1924), et casellario politico central de Mario Paolpi
J’ai pu obtenir une copie de ces dossiers provenant du Casellario Politico centrale, qui permettent de suivre des années durant leurs activités et leurs déplacements.
On ne savait presque rien de tout ça. L’impatience me guidait et j’étais stupéfait devant tant de découvertes. En parcourant chaque feuillet, je découvrais mon aïeul et m’imprégnais d’une histoire à mille lieues de ce que j’imaginais…
Paolo travailla ensuite (de novembre 1926 à octobre 1930) au domaine des Cheminières, à Castelnaudary, qui comprenait une cidrerie, un vignoble de 80 hectares et une laiterie dont il a reçu la responsabilité. C’était la propriété d’Eugène Mir, sénateur et conseiller général de l’Aude, personnage important de la vie publique du département. Agronome averti et entrepreneur dynamique, il gérait son exploitation en capitaliste paternaliste, annexant plusieurs fermes pour étendre ses terres sur 300 hectares, développant un système d’assistance sociale pour ses ouvriers. Cette période marque, à mon sens, le début d’une nouvelle étape, beaucoup plus sereine dans la vie de mes ancêtres, peut-être l’effet d’un syndicalisme qui réussit à imposer de nouvelles idées pour le bien des ouvriers, des immigrés et des français. En 1934, Paolo et son fils Marius adhérèrent tous deux à la fédération « Giacomo Matteotti » du parti socialiste italien réorganisé dans le Sud-ouest de la France. C’était encore une façon de garder un contact avec l’univers transalpin.
Domaine des Cheminières à Castelnaudary
A la pointe de l’élevage laitier
A la fin de l’année 1935, Paolo fut embauché pour gérer la laiterie du domaine de Nolet, en Haute-Garonne, entre Grenade-sur-Garonne et Aucamville. Le propriétaire, José Soler Puig, dirigeant des Tricotages de l’Ariège et bonneterie de la Garonne, était un moderniste soucieux d’améliorer le sort de son personnel. Se tournant vers la production laitière, il installa sur ses terres une étable de modèle avec un troupeau de quatre cents vaches dont Paolo allait avoir la charge, et lança le fameux "Lait de Nolet" vendu dans les nombreuses petites alimentations alentour. Après son décès, l’année suivante, Domenica et Paolo tentèrent de rentrer en Italie. Arrêté à la frontière par les autorités fascistes le 22 mars 1937, Paolo ne fut relâché que dix jours plus tard sur ordre du Consul de Toulouse, mais ce fut la fin de tout espoir de retour, même temporaire, au pays. Il avait pourtant cessé toute activité politique mais continuait d’être sollicité, en témoigne une lettre d’Antonio Tenti, ancien membre de la Fédération « Giacomo Matteotti » et membre de l’Union Populaire Italienne (UPI), interceptée par le Ministère des Affaires étrangères en 1939, lui demandant de constituer un collectif d’Italiens autour de Grenade-sur-Garonne.
Temporairement transféré comme chef laitier au domaine de Villeneuve à Montolieu (Aude) durant la Seconde Guerre mondiale, il participa au ravitaillement du Corps Franc de la Montagne Noire. La famille retourna ensuite à Nolet. Le nouveau propriétaire, ancien colon d’Algérie, avait transformé à grand frais la moitié du domaine en un immense verger irrigué, et faisait cultiver le reste selon des méthodes agronomiques innovantes. Parmi le personnel, de nombreuses familles italiennes vivaient dans les cités-jardins avec un poulailler et d’un confort encore rare en campagne (chauffage, sanitaires). Le propriétaire ayant supprimé le bétail, la laiterie de Nolet ferma ses portes. Paolo s’installa alors dans la ferme de Bel-Air qui appartenait au domaine où il poursuivit son activité jusqu'à sa retraite, continuant de faire goûter aux enfants le lait chaud, le beurre et la crème « faits maison ».
Mon arrière-grand-père a fini tranquillement ses jours dans le centre de Grenade où il passait beaucoup de temps au café de son ami Angelino, lieu de rendez-vous des Italiens du village.
Vous pouvez retrouver cet article dans le magazine Radici!
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La cousinade en hommage à Paolo Paolpi
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http://www.radici-press.net/emigrazione-63/la-cousinade-en-hommage-a-paolo-paolpi
Magazine Radici
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